Pour ou contre le plagiat ? l’avis des écrivains

Le plagiat inspire aux écrivain.es des jugements qui vont de la condamnation à l’éloge. Alors, pour ou contre le plagiat ?

Depuis la tradition de l’imitation des Anciens, jusqu’au plagiat par anticipation des Oulipiens et la prétendue mort de l’auteur proclamée par Roland Barthes, bon nombre d’écrivains revendiquent une approche libérale de la création littéraire. Sur l’autre versant, prédomine l’affirmation d’un travail original, émanant d’un moi créateur unique. En réalité, les points de vue se nuancent à l’infini, selon le contexte historique et la personnalité de chaque écrivain…

Aujourd’hui, il semble difficile de céder à une conception trop « généreuse » de la circulation des œuvres et de la possibilité de puiser librement dans le patrimoine littéraire, tant les enjeux économiques et juridiques se sont développés. Comment reprocher aux auteurs de chercher à protéger le fruit de leur travail ? Au XIXe siècle, Balzac proposa aux députés un code du droit d’auteur, afin de lutter contre les contrefaçons belges de ses œuvres… De nos jours, certains chercheurs, auteurs d’ouvrages très documentés et riches de révélations susceptibles d’intéresser même le grand public, acceptent mal de voir leurs travaux plus ou moins repris et recopiés dans des ouvrages faciles et rédigés à la hâte par des auteurs moins scrupuleux, dont le nom suffit à assurer des ventes rentables.

Dans le système actuel de production et de commercialisation du livre, objet de consommation courante, trop de libéralisme en matière de création littéraire risque de nuire à la liberté de création : l’auteur authentique, qui puise en lui-même et au prix d’une lente maturation la matière de ses œuvres, qui rend hommage à ses pairs plutôt qu’il ne les pille, finirait sans doute par se décourager, si la réglementation juridique et les lois du marché favorisent les écritures de seconde main, répondant rapidement aux exigences éphémères de l’actualité et aux goûts passagers d’un public considéré à tort comme un consommateur facile et superficiel… Le développement des techniques d’intelligence artificielle met à la une de l’actualité la cruciale question de la reproductibilité des connaissances.

Pour le plagiat
Contre le plagiat

Ceux qui défendent la légitimité de leurs emprunts

Alexandre Dumas : « L’homme de génie ne vole pas, il conquiert. » (in « Comment je devins auteur dramatique », Revue des Deux Mondes en 1833)

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, article « Plagiaire » : « Si nous dérobons, c’est seulement à l’imitation des abeilles qui ne butinent que pour le bien public, et on ne peut pas dire exactement que nous pillons les auteurs, mais que nous en tirons des contributions pour l’avantage des lettres. »

Anatole France :  » Quant à l’écrivain qui ne prend chez les autres que ce qui lui est convenable et pro fitable, et qui sait choisir, c’est un honnête homme.  » (« Apologie pour le plagiat », in La Vie littéraire, 4ème série, Paris, Calmann-Lévy, 1924)

Jean Giraudoux :  » Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d’ailleurs est inconnue.  » (Siegfried, 1928)

La Bruyère :  » Tout est dit et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent.  » (Les Caractères, « Des ouvrages de l’esprit « , 1696).

Lautréamont :  » Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase d’un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l’idée juste.  » (Poésie, 1870)

Marmontel :  » Si celui qui a eu quelque pensée heureuse et nouvelle, n’a pas su la rendre, ou l’a laissée ensevelie dans un ouvrage obscur et méprisé, c’est un bien perdu, enfoui ; c’est la perle dans le fumier, et qui attend un lapidaire : celui qui sait l’en tirer et la mettre en œuvre, ne fait tort à personne : l’inventeur maladroit n’était pas digne de l’avoir trouvée ; elle appartient, comme on l’a dit, à qui sait le mieux l’employer.  » (Éléments de littérature, 1787).

Montaigne :  » J’aimerais quelqu’un qui me sache déplumer, je dis par clarté de jugement et par la seule distinction de la force et de la beauté des propos.  » (Les Essais, , Livre 3, chap. 12, « De la physionomie »)

Pascal : « C’est une même balle dont on joue l’un et l’autre, mais l’un la place mieux.  » (Pensées)

Shakespeare :  » C’est une fille que j’ai tiré de la mauvaise société pour la faire entrer dans la bonne. « 

Paul Valéry :  » Le lion est fait de moutons assimilés.  » (Leçon d’ouverture prononcée au Collège de France le 7 mai 1946)

Voltaire :  » Les esprits les plus originaux empruntent les uns aux autres ; il en est du livre comme du feu de nos foyers ; on va prendre ce feu chez son voisin, on l’allume chez soi, on le communique à d’autres, et il appartient à tous. « 

Ceux qui condamnent les plagiaires

Pierre Bayle :  » Plagier, c’est enlever les meubles de la maison et les balayures, prendre le grain, la paille, la balle et la poussière ne même temps.  » (Dictionnaire, 1697

Céline :  » Toujours au lycée, ce petit J.-P. S. ! toujours aux pastiches, aux « lamanièredeux »… la manière de Céline aussi… (…) J’en traîne un certain nombre au cul de ces petits « lamanièredeux »…  » (« A l’Agité du bocal « , Entretiens avec le Professeur Y, 1955)

Nicolas Chamfort :  » Il y a des gens qui mettent leurs livres dans leur bibliothèque, mais M… met sa bibliothèque dans ses livres.  » (Pensées, Maximes et Anecdotes, 1803)

Cervantès :  » Je me donne pour le premier qui ait fait des nouvelles en langue castillane. Car les nombreuses nouvelles qui sont imprimées en cette langue sont toutes traduites de l’étranger. Et celles que voici me sont propres. Je ne les ai ni imitées ni volées. Mon génie les engendra, ma plume les mit au monde, et elles vont grandissants dans les bras de l’imprimerie.  » (Nouvelles exemplaires, Prologue, 1613, trad. par Jean Cassou).

Pierre Louÿs :  » Ainsi, voilà un homme [V. Hugo] qui invente. Jamais personne n’avait rien fait de semblable avant lui. Il ne perfectionne pas, il INVENTE ! Et il invente tout, non seulement le procédé, mais l’art lui-même, puisqu’il n’a rien appris, et que, tous ces chefs-d’œuvre, il les fait hors de toute communication avec les hommes, loin de tout musée, seul avec l’Océan.  » (Mon Journal, 24 juin 1887-16 mai 1888)

Marivaux (d’après d’Alembert) :  » J’aime mieux être humblement assis sur ce dernier banc dans la petite troupe des auteurs originaux qu’orgueilleusement placé en première ligne dans le nombreux bétail des singes littéraires. « 

Musset :  » Je hais comme la mort l’état de plagiaire ;
Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre.  » (Premières poésies, « La Coupe aux lèvres », 1833)

Marcel Proust :  » Il faut se purger du vice naturel d’idolâtrie et d’imitation.  » (Correspondance, août 1919,  » À Ramon Fernandez », Pastiches et mélanges)

Jean-Jacques Rousseau :  » Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur.  » (Les Confessions, I)

Georges de Scudéry :  » Si j’ai pris quelque chose dans les Grecs et dans les Latins, je n’ai rien pris du tout dans les Italiens, dans les Espagnols ni dans les Français, me semblant que ce qui est étude chez les Anciens est volerie chez les Modernes.  » (Alaric ou Rome vaincue, préface, 1654),

Il convient, bien sûr, de resituer toutes ces citations dans leur contexte. Vous en trouverez les analyses et la contextualisation au Chapitre IV,  » Les plagiaires devant le tribunal de leurs pairs  » (Du plagiat, Gallimard, Folio, 2011). Chaque propos doit être compris par rapport à son époque, en particulier. Un bref extrait simplifie souvent une idée plus largement argumentée.

Dans cette déclaration d’André Gide, qui prône l’influence en littérature, on saisit parfaitement le sens de la nuance et la distinction cruciale entre plagiat et innutrition, qui consiste à se nourrir de ses lectures pour enrichir ses ressources créatives :

 » J’ai lu tel livre ; […] mais dans ce livre il y avait telle parole que je ne peux pas oublier. Elle est descendue en moi si avant, que je ne la distingue plus de moi-même. […] Sa puissance vient de ceci qu’elle n’a fait que me révéler quelque partie de moi encore inconnue à moi-même. « 

De l’influence en littérature, Proverbe, 1992, p. 41-42.
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