Le plagiat est rarement un recopiage pur et simple. Il peut apparaître sous d’autres formes de réécriture.
Certains auteurs prennent même soin de le « déguiser » sous l’apparence d’autres formes d’emprunt, légitimes. Dans chaque cas, il faut donc s’interroger sur la nature de l’emprunt.
Ainsi, un pastiche, autorisé par le Code de la propriété intellectuel, n’est pas un plagiat, sauf si l’auteur prend prétexte de cette forme d’imitation pour s’approprier les éléments originaux de l’œuvre d’autrui, sans leur ajouter sa marque personnelle et un nouveau caractère d’originalité.
De même, la citation peut faire l’objet d’un détournement, au profit d’un emprunt abusif. Pour qu’elle reste dans le cadre légal du Code la propriété intellectuelle, elle doit se limiter à un rôle d’illustration et d’accessoire par rapport à l’œuvre dans laquelle elle s’intègre et elle doit répondre à certaines exigences :
1) les guillemets, 2) l’indication des noms de l’auteur et de l’ouvrage dont elle est issue, 3) une étendue limitée : celle-ci, en effet, ne doit pas faire concurrence à l’œuvre citée et devrait même, selon la jurisprudence, inciter le lecteur à se référer à l’ouvrage dont elle est tirée.
Ces cas ambigus, sources de controverses, sont nombreux. Ils peuvent être volontaires, afin de faire passer pour un emprunt légal une appropriation illicite de l’oeuvre d ‘autrui. C’est la raison pour laquelle nous avons consacré un chapitre entier de notre ouvrage Du plagiat (Gallimard, coll. Folio Essais, 2011) à dresser une typologie des différentes formes d’emprunt. N’hésitez pas à vous y référer : CHAPITRE VIII. Une typologie de l’emprunt.
Voici la liste des formes analysées :
Dans la catégorie de l’emprunt direct :
– la reproduction
– l’anthologie
– la citation
Dans la catégorie de l’emprunt indirect :
– la traduction
– la parodie
– la similitude d’idées
– l’analogie de sujet
– l’adaptation
– le résumé
– l’analyse
– la réminiscence
– la coïncidence fortuite
– l’imitation d’un style, d’une école ou d’une tendance
– le cliché, poncif ou lieu commun
– le centon
– le pastiche
Ces diverses formes d’emprunt sont parfaitement légitimes, sauf lorsqu’elles servent à « masquer » un plagiat. Au moins quatre critères d’analyse permettent de faire la différence :
1) le critère quantitatif : l’étendue de l’emprunt ;
2) le critère qualitatif : l’emprunt est-il direct ou indirect ? est-ce une reproduction littérale ou l’auteur a-t-il fait subir une transformation à l’élément emprunté, de manière à le renouveler en le marquant de sa propre personnalité ou bien, au contraire, comme simple moyen de démarquage ?
3) le critère d’intentionnalité : l’auteur a-t-il volontairement repris un élément d’une autre œuvre ou est-ce, par exemple le fait d’une réminiscence inconsciente ou d'une coïncidence fortuite ?
4) le critère du signalement : l’emprunt est-il clairement signalé (indication du nom de l’auteur ou de l’ouvrage concernés, pagination…) ou bien est-il occulté, de manière à entretenir une confusion sur la paternité de tel passage ?
A chaque fois, l’analyste se doit à l’examen prudent de chacun de ces critères, car une accusation de plagiat est toujours grave et touche à l’identité même de l’écrivain qui, en tant que tel, nourrit son œuvre d’une part de lui-même…
Le plagiat est une notion aux contours mouvants. Il ne se distingue clairement d’autres formes de réécriture qu’à condition de procéder, pour chaque cas d’espèce, à une analyse précise de la signature d’auteur, du mode de fabrication de l’œuvre et des intentions qui l’ont suscitée. Le plagiat se démarque de la parodie parce qu’elle exacerbe la dimension comique liée à l’outrance et aux effets de caricature ; mais le plagiaire est souvent tenté de la citer comme alibi en prenant prétexte des similitudes avec le modèle. Le plagiat diffère aussi du pastiche, car il gomme les effets de style caractéristiques de l’auteur plagié pour le faire oublier, contrairement au pastiche qui les exhibe ; pourtant, combien de plagiats déguisés ont pris l’habit du pastiche pour se donner bon aloi ? Le plagiat se distingue aussi du faux, par la signature, mais la duperie qui les gouverne tous les deux les rendent quelquefois interchangeables, selon l’intention du falsificateur. L’un cherche à faire valoir, grâce à son plagiat, la qualité de son nom d’auteur comme preuve de son talent ; l’autre vise, avec un faux, une source de profit ou le plaisir d’une mystification. Les périphéries du plagiat ne sont pas si labyrinthiques qu’elles ne puissent livrer leurs secrets ; mais à chaque détour s’offre une nouvelle énigme dont nous allons peut-être donner quelques clés.
Extrait de Du plagiat, chapitre « Aux périphéries du plagiat », Gallimard, Folio, 2011.
A lire : « Les règles du savoir-plagier », Magazine littéraire, no 495, mars 2010.