« Les gens lui demandaient parfois d’où il sortait ses idées ; la question avait beau avoir le don de le faire ricaner, il se sentait vaguement honteux, vaguement mystificateur. On aurait dit qu’ils croyaient à l’existence d’une vaste Décharge Centrale des Idées […] et qu’il disposait d’une carte secrète lui permettant d’y aller et d’en revenir. »
« Vue imprenable sur jardin secret », nouvelle de Stephen King (Secret Window, Secret Garden, in Minuit 2, 1990).
L’ingénieuse nouvelle de Stephen King met en scène les obsessions de l’écrivain, concrétisées par le crime et le fantôme. Le plagiat, dans cette fiction est le thème carrefour : parvenu dans sa vie d’écrivain à un moment de doute, Morton subit un blocage d’écriture ; face à son impuissance créatrice, le voici qui se ronge d’un terrible sentiment de culpabilité : n’a-t-il jamais rien écrit de lui-même ? Selon sa conception de l’écriture, il s’est d’ailleurs toujours assimilé à un voleur.
Du plaidoyer pro domo à l’enquête policière, du roman d’espionnage à l’apologie d’un contrefacteur génial, la littérature s’est souvent inspirée du thème du plagiat, du vol littéraire. Le sujet fascine ou scandalise ; le romancier y purge quelquefois sa propre peur d’imiter ses modèles ou bien il tire vengeance d’un plagiaire par fictions interposées. Rien d’exhaustif dans cette présentation qui privilégiera plutôt les thèmes les plus attractifs et les plus constants d’un genre littéraire le plus souvent représenté par le roman, mais aussi dans des nouvelles, et même des pièces de théâtre ou en poésie… et en bande dessinée ! Le plagiat dans la fiction offre une piste de lecture souvent passionnante.
Quelques exemples permettront d’illustrer des thématiques récurrentes dans cette littérature inspirée de personnages de plagiaires ou de plagiés.
Plagiaires assassins dans les oeuvres de fiction
« Vous vous êtes contenté de maquiller un peu l’histoire et de changer le nom des personnages. Mais le récit reste ma propriété. […] Vous êtes intelligent. Vous ne recopiez pas mot à mot. Vous transformez le texte juste assez pour jeter le doute. Tous les avocats que j’ai consultés depuis dix ans m’ont dit que je n’avais aucune chance de gagner un procès contre vous. »
« Le dernier plagiat » de Bill Pronzini et Barry N. Malzberg, nouvelle anglaise, traduction française parue en 1992 à la Librairie des Champs-Élysées.
Anéanti par l’échec et l’humiliation, l’écrivain décide de tuer son plagiaire : ôter la vie à qui a volé l’œuvre. Mais le plagiaire, une fois de plus, a raison de sa victime : après avoir pillé l’oeuvre, il élimine son auteur… Du délit au crime, l’itinéraire semble tout tracé, quand le délit est un plagiat.
« Mauger a l’impudence de publier un texte pour les jeunes qui est le piratage intégral d’un manuscrit dont je suis l’auteur, un manuscrit qu’il s’était fait un plaisir, six mois auparavant, de rejeter du revers de la main. »
« Un coup de feu troue la touffeur du parking […]. L’espace de trois secondes qui durent l’éternité, il se demande, médusé, si la décharge qui a culbuté Mauger n’a pas été tirée accidentellement par son fusil. »
Bon à tirer de J.-M. Poupart, Boréal, 1993.
Dans le roman de Jean-Marie Poupart, Bon à tirer (Boréal, 1993), le personnage principal, Thomas Charbonneau, salarié d’une maison d’édition et écrivain, s’est fait plagier son dernier roman par son nouveau directeur-adjoint, Vincent Mauger. Qui finira par tuer l’autre, du plagiaire ou de plagié ?
« Tes livres sont ma création. Je veux qu’elle vive. Tu ne peux pas ressentir la même chose que moi qui les ai arrachés de mes entrailles. Tu n’as fait que les signer. Ils sont ma chair, mon sang et mon souffle. Je veux qu’ils vivent même au prix d’être emprisonné. »
Virgil Gheorghiu, Dieu ne reçoit que le dimanche, Plon, 1975.
Décébal Hormuz, héros du roman de Virgil Gheorghiu, Dieu ne reçoit que le dimanche,échappe de peu à son anéantissement par le régime soviétique lorsqu’il est sur le point d’être reconnu en Europe comme un authentique écrivain. Toute son œuvre, en effet, a été vampirisée par un haut dignitaire de l’armée roumaine au nom prédestiné, Dracula… Encore un bel exemple de plagiat dans la fiction.
Le plagiat, une arme de vengeance
« Bien entendu, j’étais devenu l’éditeur anglais de mon camarade. De plus, c’est moi qui traduisais tous ses chefs d’œuvre. J’aurais pu me contenter d’en rendre une version parfaitement fidèle, une traduction littérale, mais il me fallait faire beaucoup plus que cela, car, très curieusement, je considérais ces livres un peu comme s’ils étaient les miens. Je vivais avec l’intime conviction que, par un étrange tour de magie, il avait détourné et capté à son profit la source de création qui sourdait en moi. »
Jean-Jacques Fiechter, Tiré à part, Denoël, 1993.
Dans le roman de Jean-Jacques Fiechter, Tiré à part, adapté au cinéma par Bernard Rapp en 1996, le narrateur, Edward Lamb, est l’éditeur anglais et traducteur de son ami de jeunesse, Nicolas Fabry. Mais lorsque son roman Il faut aimer est auréolé du prix Goncourt, sa jalousie n’en peut plus et trouve son exutoire dans une sombre vengeance…
Plagiaires punis et repentis dans les oeuvres de fiction
« Tu ne peux pas savoir qu’il s’est glissé en moi à mon insu, qu’il s’est vengé en s’installant en moi, en commandant mon visage, mes gestes !… Tout ce qui est moi véritablement, il le dévore et s’en engraisse. Et je le hais d’être plus fort que moi. Tu crois que je l’ai volé ? Mais, à présent, c’est lui qui me vole ! Il n’y aura bientôt plus de Jacques Sorbier. »
Henri Troyat, Le Mort saisit le vif, Plon, 1942.
Ce roman d’Henri Troyat présente la version moralisatrice d’une pratique d’écriture délictueuse : le plagiat ne profite pas. Bien au contraire, l’anéantissement suit de près une fausse gloire. Autre leçon rassurante : le talent est identifiable par des éditeurs et un public qui ne s’y trompent pas. Aucune tricherie n’est possible. Pour preuve, le premier roman volé ne permet pas à Jacques Sorbier d’abuser les éditeurs sur la qualité du « deuxième » roman, écrit de sa propre main. Tout finit par retrouver sa juste place, son mérite propre : les morts de se rendormir et les médiocres de s’effacer.
Roman prémonitoire ? Henri Troyat fut condamné pour contrefaçon en 2003 pour sa Juliette Drouet, biographie de la maîtresse de Victor Hugo parue en 1997 chez Flammarion. Gérard Pouchain et Robert Sabourin ont sans peine reconnu leur bien, Juliette Drouet ou la Dépaysée, publié chez Fayard en 1992.
L’obsession du plagiat : le tourment de l’écrivain
« Les gens lui demandaient parfois d’où il sortait ses idées ; la question avait beau avoir le don de le faire ricaner, il se sentait vaguement honteux, vaguement mystificateur. On aurait dit qu’ils croyaient à l’existence d’une vaste Décharge Centrale des Idées […] et qu’il disposait d’une carte secrète lui permettant d’y aller et d’en revenir. »
Stephen King, « Vue imprenable sur jardin secret », in Minuit 2, trad. fr. William Olivier Desmond, Paris, Éd. J’ai lu, 1993.
Une nouvelle de Stephen King, intitulée « Vue imprenable sur jardin secret », réunit au sein d’un même personnage ces deux tendances de l’écrivain qui en font tantôt un plagié, tantôt un plagiaire. Le thème du dédoublement prend ici une dimension fantastique. L’écrivain, à la fois coupable et victime, débiteur et créditeur, pousse jusqu’à la folie l’insoutenable ambiguïté et les tourments du chef d’oeuvre absolu.
La littérature ? un plagiat universel…
« Mon complaisant précurseur [Cervantès] ne repoussa pas la collaboration du hasard : il composait l’œuvre immortelle un peu à la diable, entraîné par la force d’inertie du langage et de l’invention. Moi, j’ai contracté le mystérieux devoir de reconstituer littéralement son œuvre spontanée. »
Jorge Luis Borges, « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », in Fictions [Buenos Aires, 1944], Première édition française, traduction de Paul Verdevoye et Nestor Ibarra, Gallimard, 1951.
Plus qu’une supercherie ou un canular, cette nouvelle de Borges intitulée « Pierre Ménard, auteur du Quichotte » et publiée dans le recueil Fictions, révèle une certaine conception de l’œuvre littéraire. Par le simple fait du décalage chronologique, toute œuvre, même recopiée, est œuvre nouvelle, porteur d’un nouveau sens. Il faut voir dans cette nouvelle une démonstration provocatrice et pleine d’humour de ce qu’est la littérature : « Vaste création anonyme où chaque auteur n’est que l’incarnation fortuite d’un Esprit intemporel et impersonnel. » (Gérard Genette, « L’utopie littéraire », in Figures I, Paris, Éditions du Seuil, coll. Points littérature, 1976, p. 125). Dans cette perspective, la notion d’auteur est périmée. Qu’en advient-il de celle de plagiat qui n’a de sens qu’au regard d’une signature, signature volée ?
A lire : Fabula-LhT n° 17, juillet 2016
Pierre Ménard, notre ami et ses confrères, sous la dir. d’Arnaud Welfringer.
« Du reste, un observateur impartial reconnaîtra que nous ne procédons pas comme Fibel, mais, presque tous, de façon pire, car non contents d’inscrire notre nom sur des pensées anonymes d’un seul auteur, nous nous approprions celles de milliers d’individus, d’époques et de bibliothèques entières, en prétextant « notre savante culture », et nous volons ainsi jusqu’aux plagiaires. »
Jean-Paul, La Vie de Fibel [1812], Bibliothèque 10/18, UGE, Paris, 1967
Au cours du XIXe siècle allemand, le romancier Jean-Paul, pseudonyme de Johann Paul Friedrich Richter, publia la biographie imaginaire d’un faussaire doublé de plagiaire, celle de Gotthelf Fibel. L’écrivain livre ainsi une caricature de sa vision de la littérature, fondée sur la transgression, l’hybridation des genres et l’excentricité d’un plagiat pratiqué sans vergogne. Ce roman, hautement symbolique, rejoint l’idée que Borges se faisait de la littérature, anonyme et universelle.
Les oeuvres de fiction inspirées par le thème du plagiat constituent une bibliothèque entière. Ces quelques titres vous ont peut-être donné envie d’aller plus loin. Pour trouver de nombreux autres exemples et, surtout, des analyses de ces oeuvres si révélatrices des enjeux liés à la création littéraire, je vous propose de lire le Chapitre V de Du plagiat, « Le plagiaire, un personnage de fiction ».
Le centon du plagiat
Le centon du plagiat où l’on apprend l’histoire véritable de l’écriture… Je me suis vraiment amusée à écrire ce centon, genre littéraire de l’Antiquité, redevenu à la mode à la Renaissance : » XVIe siècle. Emprunté du latin cento, -onis, « morceau d’étoffe, vêtement rapiécé », d’où le sens figuré de « pièce littéraire composite ». Ouvrage de prose ou de poésie composé de fragments empruntés à un ou plusieurs auteurs. » (Définition du CNRTL). Un centon sur le plagiat littéraire, c’est une mise en abyme où la forme est elle-même le miroir de son propre contenu : une réécriture à l’infini sur le thème vertigineux de l’originalité.
Tous les fragments empruntés de ce centon sont dument mentionnés en note de bas de page. Ne manquent que les guillemets : à vous de les deviner.
La certitude que tout est écrit nous annule ou fait de nous des fantômes. Quiconque a le courage d’admettre cette vérité comprend enfin la misère de l’homme avide de nouveau et d’original. La prétention à la création d’une œuvre nouvelle n’est que vanité et coupable démesure chez l’homme oublieux de sa véritable place au sein de la grande Bibliothèque universelle.
Hélène Maurel-Indart, « Le centon du plagiat
Il est un cas illustre, un certain Pierre Ménard, de ces écrivains dont l’humilité écrasante fait honneur à la littérature. Mais du détail de cette histoire, on a perdu trace, depuis que sa veuve intraitable a interdit tout accès à ses archives. Et comme elle a bien fait ! Tant d’écrits ne font que dupliquer la Grande Bibliothèque. Les rayonnages n’y suffisent plus.
où l’on apprend l’histoire véritable,
et pitoyable, de l’écriture », in Formules, n° 11, 2007, p. 293-313.