« Les développements de la société de l’information ont transformé le rapport de chacun à la création authentique, à l’originalité créatrice. Les savoirs par la recherche, publique ou privée, ne peuvent progresser si la duplication, la répétition et l’imitation se perpétuent.
Le plagiat de la recherche scientifique, de Geneviève Koubi et Gilles Guglielmi, LGDJ, 2012.
Le plagiat, quelles que soient ses formes, du copier-coller jusqu’au travestissement falsificateur des projets ou des résultats de recherche d’un autre que soi, mérite désormais un traitement juridique qui soit à la hauteur des risques qu’il fait courir à la société de la connaissance.
Le plagiat touche toutes les disciplines scientifiques. Son analyse interpelle les étudiants, les doctorants, les chercheurs et les enseignants-chercheurs dans les universités et les laboratoires, publics et privés. »
Règles et les usages en matière de déontologie et d’intégrité scientifique
Pourquoi faut-il combattre le plagiat académique : le travail patient et fastidieux de l’universitaire, qui consiste à mettre au jour des données à la faveur de recherches dans des archives, sur le terrain ou dans des documents de toutes sortes, doit être protégé pour préserver la dynamique de la recherche. Mais ce travail ne peut faire l’objet d’une protection juridique que s’il aboutit à une construction intellectuelle marquée du sceau de son auteur. On comprend à quel point le chercheur doit s’inquiéter de voir reprises en toute légalité des données brutes recueillies au fil de longues investigations, ou des idées, des intuitions, qu’il n’aurait pas encore développées dans un argumentaire original. Données brutes, idées, concepts, sont en effet de libre parcours.
En revanche, les notions de choix, de sélection, d’organisation et, enfin, de mise en forme de ces données sont déterminantes dans la qualification de la contrefaçon.
Par exemple, même une bibliographie peut être qualifiée d’originale par le juge, alors qu’elle ne comporte que des données brutes. En effet, le choix, en soi, des références bibliographiques, l’indication précise des chapitres ou des pages sélectionnés par le chercheur, peuvent être prise en compte au titre d’une création personnelle. L’appréciation de la contrefaçon dépend dans ce cas du degré de formalisation et de composition de ces éléments, de leur originalité.
Un autre exemple concret, celui de la biographie, illustre bien la distinction entre un emprunt légal ou illicite à des éléments factuels :
« La contrefaçon d’un ouvrage biographique est caractérisée lorsque les emprunts à un auteur ayant effectué un travail de recherche, de sélection et de classement de données appartenant au domaine public, selon une logique qui lui est spécifique, vont, en raison de leur nature et de leur importance, au-delà d’une simple réminiscence à l’œuvre antérieure qui porte l’empreinte de la personnalité du premier biographe. »
Cour d’appel de Paris, 19 février 2003, affaire Henri Troyat / Gérard Pouchain et Robert Sabourin pour leur biographies respectives sur Juliette Drouet.
Dans l’affaire qui a opposé Gérard Pouchain et Robert Sabourin, deux chercheurs spécialistes de Victor Hugo, à Henri Troyat, romancier, concernant la biographie de Juliette Drouet, la cour d’appel de Paris a faire preuve d’une réelle volonté d’harmonisation et de cohérence lors de l’examen des différentes formes de réécriture destinées à maquiller les emprunts. Elle a même procédé à une classification systématique des procédés utilisés : changements de temps ou de mode d’un verbe, métaphores et images (« des orages » pour « une scène orageuse »), contraires et oppositions (« le succès se maintient » pour « le succès ne se dément pas »), synonymes (« reçoit » pour « accueille »), mots en écho (« retrouve » / « retourne », « on boucle les malles » / « on bourre les valises »), chiasmes (croisements de termes). L’énumération culmine avec le procédé du décalquage dont voici une illustration caractérisée :
« N’est-il pas secrètement fatigué d’être épié sans cesse par sa voisine ? » (Pouchain et Sabourin, Juliette Drouet ou la dépaysée, Fayard, 1992, p. 301)
« N’est-il pas agacé d’être surveillé, du matin au soir, par une femme jalouse ? » (Troyat, Juliette Drouet, Flammarion, 1998, p. 293.)
J’ai analysé très précisément ce cas de plagiat reconnu comme une contrefaçon par la cour d’appel de Paris dans le chapitre « Les chercheurs de l’ombre » de mon essai Plagiats, les coulisses de l’écriture (Ed. La Différence, 2007, p. 97-103).
Un démarquage systématique ne saurait donc faire passer pour original un recyclage contrefaisant.
En revanche, n’ont pas été retenues des reprises d’éléments jugés banals, imposés par la situation ou le sujet, relevant des faits historiques ou présents dans des sources antérieures, sans plus value de forme ou de composition. Ne sont protégés par le droit d’auteur que les éléments originaux, empreints de la personnalité de leur auteur. Appréciation souvent subjective…
La difficulté de l’appréciation de la contrefaçon consiste donc à distinguer entre l’idée pure, ou la donnée brute, non protégeable, et son expression dans une mise en forme qui en garantit l’originalité. A partir de quel moment, en effet, peut-on considérer qu’une idée, ou un élément factuel, est suffisamment développé sous une forme concrète pour devenir la propriété de son auteur, à la faveur d’une expression originale et d’une élaboration intellectuelle personnelle ? La thèse, ou l’idée, aussi novatrice et audacieuse soit-elle, doit être étayée par un appareil de références qui donne véritablement corps à l’idée.
Une autre affaire a opposé l’historien Mickaël Augeron, auteur d’un article intitulé « Coligny et les Espagnols à travers la course (1560 – 1572) : une politique maritime au service de la cause protestante », et Michel Le Bris, auteur d’un essai, D’or, de rêves et de sang – L’épopée de la flibuste 1494 – 1588.
Les indications chiffrées données par Mickaël Augeron ont été considérées par le juge comme des « mots typiques » donc susceptibles d’être protégés. En effet, elles ont permis d’établir des statistiques originales réalisées après la lecture de plusieurs milliers de documents, des inventaires effectués navire par navire, année après année, et le dépouillement de correspondances entre le roi d’Espagne et ses ambassadeurs. Ces données dépassent, par conséquent, le simple fait historique, non protégé en soi ; elles sont les éléments constitutifs d’un ensemble cohérent et significatif : les types de navires, l’appartenance à tel ou tel pays, l’évolution chronologique de ces chiffres… Il faut comprendre ainsi l’originalité reconnue par le juge à ces « mots typiques.
Le tribunal de grande instance de La Rochelle avait, d’une manière générale, remarqué un manquement dans le système de référencement bibliographique : « Monsieur Le Bris n’a cité expressément Monsieur Augeron qu’à deux reprises, de façon inexacte et incomplète sans qu’il puisse de ce chef se prévaloir d’une erreur de son éditeur. »
Ce cas de plagiat reconnu comme une contrefaçon par le tribunal (TGI de La Rochelle, jugement du 23 avril 2002) a aussi fait l’objet d’une analyse précise dans le chapitre « Les chercheurs de l’ombre » de mon essai Plagiats, les coulisses de l’écriture (Ed. La Différence, 2007, p. 81-84).
Une déontologie s’impose dans le domaine de la création littéraire et artistique, aussi bien que dans celui de la recherche universitaire, plus encore marquée par la nécessité de jouer la transparence des sources. Les exemples précédents ont montré à quel point tout travail d’écriture s’ancre nécessairement dans les œuvres des prédécesseurs. Peut-on imaginer qu’une biographie de personnage célèbre ou qu’un essai historique fasse l’impasse sur les découvertes et les analyses antérieures ? Ce serait priver le lecteur de tout l’apport des recherches précédentes et revenir indéfiniment à une sorte de table rase, à une ignorance des différentes strates de l’édifice humain des connaissances. La créativité et l’innovation attendues du chercheur, autant que de l’écrivain, prospèrent sur des terres fertiles, déjà ensemencées. Or, l’intérêt de la communauté universitaire, et même de la société civile, est de mettre en valeur le patrimoine scientifique et littéraire en précisant les sources et la nature des emprunts.
La dynamique collective où chacun sait rendre hommage à l’autre favorise le partage des connaissances et la reconnaissance de la contribution individuelle. La dimension personnelle d’un ouvrage s’évalue en effet à la capacité d’assimiler, dans les œuvres du passé, ce qui permet d’élaborer, dans les œuvres à venir, de nouvelles créations. A partir d’un matériau déjà disponible, l’auteur procède à des analyses inédites, qui répondent à une démarche et à une vision personnelles, susceptibles d’éclairer sous un jour différent les données antérieures.
Prévenir et combattre le plagiat à l’université
La prévention par l’information est prioritaire. Dès la première année de licence jusqu’à l’école doctorale, les étudiants doivent être sensibilisés aux règles de déontologie de la recherche et comprendre les enjeux de l’intégrité scientifique. Mais les chercheurs eux-mêmes demeurent concernés : que peut-on reprendre aux prédécesseurs alors que toute recherche doit reposer sur un état de l’art ? Comment peut-on protéger ses travaux avant le stade de la publication, alors que les communications et les échanges lors de colloques font partie des étapes utiles à la progression de la recherche ? Dans quelle mesure peut-on publier à plusieurs reprises les mêmes résultats de recherche, sans être pour autant faire de l’auto-plagiat ?
- Il faut commencer par se demander si le texte produit par soi-même ou par un tiers est original.
- Seul ce qui est considéré comme original est susceptible d’être protégé et doit en conséquence être précisément référencé, et dans des limites qui ne fassent pas concurrence au texte recopié ou repris avec des modifications mineures.
- Lorsqu’il existe une suspicion de plagiat à l’université, le voie de recours judiciaire (TGI, cour d’appel, cour de cassation) n’est pas a priori la plus adaptée. En effet, il existe au sein de chaque université une instance administrative ad hoc, une procédure disciplinaire totalement indépendante de la voie judiciaire mais non exclusive.
- La commission disciplinaire peut alors sanctionner le plagiat en tant que tel. Dans ce cadre administratif, le terme de contrefaçon n’est pas utilisé.
- Comme dans la voie judiciaire, des recours sont possibles.
Pour approfondir sur le plagiat académique:
* Deux sites internet consacrés entièrement au plagiat scientifique (comprenant toutes les sciences humaines – dont la littérature, les arts… – et les sciences dites « dures »).
– L’Institut de Recherche et d’Action sur la Fraude et le Plagiat Académiques : cet espace de rencontre scientifique international et interdisciplinaire, créé à l’initiative de Michelle Bergadaà, porte sur la fraude et le plagiat académique ; il vise à aider et accompagner les personnes physiques et morales concernées ; il développe et propose une méthodologie d’expertise en matière de fraude et de plagiat.
– Archéologie du « copier-coller » est un blog de Jean-Noël Darde, dédié à la publication d’études et de documents sur le phénomène du « copier-coller » et du plagiat dans les travaux universitaires (thèses et articles de doctorants et enseignants-chercheurs). Ce blog s’intéresse au plagiat et aux réactions institutionnelles à ce fléau.
De nombreuses universités universités présentent sur le site internet des informations claires et indispensables pour éclairer les étudiants sur le bon usage en matière d’éthique de la recherche, afin d’éviter le risque de plagiat académique :
Quelques conseils essentiels à Sciences Po Grenoble : « Comment éviter le plagiat ».
Un Mooc très efficace à l’Université de Bordeaux : « Le MOOC Intégrité scientifique dans les métiers de la recherche est une formation gratuite et ouverte à toute personne qui s’interroge sur ce qu’est une recherche intègre et responsable. »
La bibliothèque universitaire de l’Université de Tours propose un document pratique « Comment citer ses sources, éviter le plagiat ».
La diffusion scientifique et la question de l’auto-plagiat
Vous avez déjà publié votre travail de recherche et on vous en propose une re-publication sur un autre support ? Une règle de déontologie s’impose : la transparence sur cette muti-publication d’une même production scientifique : il faut que les deux éditeurs des deux publications soient informés et donnent leur autorisation. Leur intérêt peut être de mieux faire connaître leur propre support d’édition, puisque la nouvelle publication, en signalant la précédente, la réactive. Quant à l’intérêt général, il est préservé et même favorisé, puisque la diffusion des travaux de recherche, souvent limitée à une communauté limitée de spécialistes, peut toucher un nouveau public et assurer un meilleur rayonnement de la recherche.
La Société Française de Management a publié un avis sur « La diffusion plurielle des productions scientifiques par leur(s) auteur(s) » qui m’a semblé très juste : elle justifie la pratique de la multi-publication d’un même travail de recherche tout en établissant des règles strictes de déontologie scientifique. En voici extraits significatifs qui devraient vous donner envie de consulter « l’Avis » dans son intégralité.
A écouter sur Radio Campus Tours : « Hélène Maurel nous apporte ses lumières sur le plagiat : est-ce du vol, de l’humour ? Est-ce une réalité culturelle franco-française ? Que dit la loi ? ».