Informations juridiques sur le plagiat

informations juridiques sur le plagiat

Voici, en matière de droit d’auteur, de contrefaçon et de plagiat, des informations juridiques indispensables.

Le plagiat, autrefois pure question littéraire, a longtemps bénéficié de l’indifférence des juges. Une longue tradition répugnait à attribuer aux créations intellectuelles une valeur économique. Les juges ont éprouvé une grande difficulté à concevoir une propriété relative à une œuvre immatérielle. « Cette imbrication de l’œuvre (objectivée dans la fabrication matérielle du livre) et de la personne (subjectivée dans l’énonciation d’un point de vue sur le monde) » explique la nature problématique — et tardive — du droit d’auteur, en rupture avec le droit de propriété qui était inadéquat pour rendre compte du droit d’auteur. La nature du droit d’auteur est en soi originale, puisqu’elle échappe aux deux grandes catégories de droits existantes : « Les droits personnels — qui expriment les rapports entre des personnes — et les droits réels, qui expriment les rapports qu’on entretient avec une chose — droit de propriété par exemple. » (Nathalie Heinich, Être écrivain) Le droit d’auteur ne pouvait émerger qu’avec l’affirmation de les notions de personne, d’individu au XVIIIe siècle.

Dans ce nouveau contexte, le combat de Caron de Beaumarchais fut décisif. Il contribua à préserver les intérêts financiers de l’auteur, et en particulier de l’auteur dramatique. Contre la Comédie-Française, il fonda le Bureau dramatique afin de faire respecter l’obligation légale de verser à l’auteur d’une pièce de théâtre le neuvième de la recette. Ainsi, les auteurs, jusqu’alors isolés, commencèrent à se regrouper et à former des groupes de pression suffisamment forts pour influencer le législateur.

Une première loi de 1791 sur le droit de représentation fut inspirée par le célèbre avocat Le Chapelier : « La plus sacrée, la plus personnelle de toutes les propriétés est le fruit de la pensée d’un écrivain. » La loi de 1793 « relative aux droits de propriété des auteurs d’écrits en tout genre, compositeurs de musique, peintres et dessinateurs » consacra au bénéfice de l’auteur un droit exclusif de reproduction. C’était la première étape décisive vers la première loi sur la propriété littéraire en 1957.

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Beaumarchais
Beaumarchais par J.-M. Nattier
SGDL
Balzac
Balzac président de la SGDL en 1839

Entre plagiat et contrefaçon

Rappelons d’abord que le plagiat littéraire, vol de mots, prend en droit le nom de contrefaçon. Augustin-Charles Renouard, en effet, dans son Traité des droits d’auteur dans la littérature, les sciences et les arts (1838), précise que « le plagiat, tout répréhensible qu’il soit, ne tombe pas sous le coup de la loi, il ne motive légalement aucune action judiciaire que s’il devient assez grave pour changer de nom et encourir celui de contrefaçon. »

La contrefaçon est donc l’appellation juridique du plagiat, sa version condamnable. A ce titre, elle constitue un délit. L’article 335-3 du Code de la propriété intellectuelle en précise la nature : il s’agit de « toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits d’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi. » Elle est susceptible de donner lieu à des sanctions civiles et pénales. Au contraire, comme le dit Robert Plaisant dans Le Droit d’auteur, « le plagiat habile est moralement coupable mais juridiquement irréprochable. »

Il est souvent délicat de distinguer entre ces deux notions de plagiat et de contrefaçon. Le juge s’y applique pour décider finalement du caractère licite ou non de l’emprunt. C’est la jurisprudence qui a progressivement permis d’assurer une relative stabilité dans l’appréciation toujours subjective de ce qui relève de l’originalité, protégée par la loi, et du caractère banal d’un écrit qui peut être librement réutilisé.

Les critères d’appréciation sont de plusieurs ordres.

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Les critères d’appréciation

Tout d’abord, le juge distingue entre les emprunts concernant les idées, qui ne sont pas susceptibles d’être protégées car elles sont  » de libre parcours « , et les emprunts concernant des expressions et la composition. Seules celles-ci sont protégées par le droit d’auteur.

S’agissant de l’expression et de la composition, le juge prend en compte l’importance quantitative de l’emprunt. Cela dit, un emprunt formel, même de faible étendue, peut être jugé illicite, s’il porte sur un élément caractéristique de l’œuvre plagiée. Un élément est dit caractéristique, s’il est marqué par la personnalité de l’auteur et s’il apparaît comme vraiment original. Dans ce cas, il est protégé par la loi. Ce peut être le cas d’une scène de roman, particulièrement inattendue et originale ou d’une formule, un titre d’ouvrage par exemple, très caractéristique.

Par contre, un emprunt, même important sur le plan quantitatif, peut être autorisé. Dans une biographie par exemple, un auteur est autorisé à reprendre la même composition chronologique qu’un autre ouvrage sur le même sujet, car elle découle du sujet même : elle est dite « fonctionnelle », sans originalité aucune. De même, certaines expressions « fonctionnelles » peuvent être librement recopiées d’un ouvrage à l’autre, lorsqu’elles s’imposent par le thème ou le contexte présentés.

En revanche, le juge n’est pas dupe d’un recopiage habile, comportant des variantes non significatives et uniquement destinées à masquer le délit. La loi ne protège donc pas seulement l’expression littérale. La transposition directe (sans aucune transformation de l’original) n’est donc pas la seule à être interdite. L’emprunt indirect peut lui aussi faire l’objet d’une condamnation.

Il faut toujours aussi s’interroger sur le caractère intentionnel de l’emprunt, même s’il relève apparemment de la contrefaçon. En ce sens, le juge tient compte des mouvements de mode, des coïncidences, de l’utilisation de sources communes due à l’assimilation par deux auteurs différents d’une culture commune, d’ouvrages fréquentés par une même génération.

De plus, le juge ou le critique littéraire s’intéressent à la manière dont l’auteur insère l’emprunt dans son œuvre : l’a-t-il clairement signalé comme émanant d’un autre auteur : des guillemets pour la citation, une indication plus ou moins codée pour le pastiche, la précision du nom de l’auteur pour la référence ou pour l’hommage… Ou, au contraire, l’emprunt est-il occulté, habilement présenté comme émanant de l’auteur lui-même ?

Un droit d’auteur français protecteur ?

En matière de propriété littéraire, le droit français est considéré comme particulièrement protecteur, car c’est un droit lié à la personne même de l’auteur, au créateur de l’oeuvre, contrairement au copyright, droit anglo saxon qui porte prioritairement sur l’oeuvre et sa copie. Mais certains principes libéraux viennent sérieusement limiter la portée de cette citation :

  • première limite à cette protection : la loi distingue la forme et le fond ; elle exclut donc les idées du champ de la protection. En pratique, on se rend compte qu’il est souvent difficile de reconnaître la frontière entre l’idée, non protégeable, et sa mise en forme qui l’est. L’agencement des idées, à savoir la composition, et leur expression sont seuls protégés. Heureusement, la protection de l’expression ne s’exerce pas seulement en cas de reproduction littérale…
  • deuxième limite à cette protection : la contrefaçon doit être appréciée d’après les ressemblances et non d’après les différences. A vrai dire, ce principe contraignant est fréquemment contourné. Ecoutons sur ce point la synthèse pleine de bon sens de Pierre-Yves Gautier dans la Propriété littéraire et artistique (PUF) : « La contrefaçon s’apprécie d’abord par le groupement et l’addition des points de ressemblances, après quoi, l’on passera aux différences ; si celles-ci ne détruisent pas l’impression d’ensemble de démarquage, la condamnation s’en suivra. Mais si elles renversent au contraire la première impression et établissent que les éléments caractéristiques de la seconde œuvre lui sont effectivement propres, le débouté ou la relaxe sera prononcé. »

Je viens de vous présenter les éléments essentiels de base concernant le droit d’auteur. Chaque cas est particulier et, pour apprécier la nature contrefaisante ou non d’un plagiat ou d’une similitude littéraire, il convient d’être très familier à la fois de la réglementation juridique d’une part, de la jurisprudence d’autre part – à savoir l’ensemble des décisions prises dans les tribunaux – et, enfin, de la doctrine, à savoir des commentaires des juristes qui permettent d’analyser l’ensemble de ces corpus.

Pour approfondir

Consulter le Code de la propriété intellectuelle sur Légifrance.

Mieux comprendre avec ce manuel complet de Droit de la propriété intellectuelle (Ellipses), par Jean-Luc Piotraud qui actualise régulièrement l’ouvrage.

La revue Droit & littérature, parution annuelle (LGDJ), permet de croiser les deux approches littéraire et juridique.

Lire les deux chapitres de mon ouvrage Du plagiat (Folio, 2011) sur les questions juridiques :
chapitre VI. La loi protège et réglemente le travail créateur : les essentiels sur le droit d’auteur.
chapitre VII. Le comportement du juge face à l’écrivain à succès : deux affaires sont analysées dans le détail afin de comprendre les raisonnements des juges, leur méthode, et de les confronter avec les commentaires des juristes spécialistes du droit d’auteur.

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