« Du droit à la littérature »

La plaidoirie, une œuvre littéraire…

Le nouveau numéro de la revue Droit et littérature (n° 8 2024) s’enrichit d’une pluralité d’articles sur l’art de convaincre. Genre littéraire – et juridique – à part entière, la plaidoirie présente des particularités intéressantes. Elle pose une nouvelle fois la question cruciale de la protection des œuvres littéraires, celle aussi du statut juridique de son auteur, l’avocat en l’occurrence. Hélène Skrzypniak, maîtresse de conférences à l’Université de Bordeaux, y consacre un article très éclairant, intitulé « la plaidoirie, une œuvre littéraire ? » (p. 199-210)

Droit et littérature n° 8 2024

Nul doute que la plaidoirie soit une œuvre littéraire, au sens où Gérard Cornu la définit dans son Vocabulaire juridique :

« toute œuvre écrite ou orale, constituée par un assemblage de mots, quel qu’en soit le sujet ».

Il est utile, en effet, de rappeler que l’œuvre littéraire orale est considérée au même titre qu’une œuvre écrite par le Code de la propriété intellectuelle. L’article L. 112-2 fait précisément référence à la plaidoirie :

« sont considérées notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code (…) les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries et autres œuvres de même nature ».

La plaidoirie, propriété de l’avocat

La plaidoirie est ainsi « la création de l’avocat », selon les termes d’Hélène Skrzypniak, une création intellectuelle. Son auteur en est donc propriétaire et celle-ci est protégée par le droit d’auteur.

Comme toute autre œuvre littéraire, elle doit être originale pour bénéficier de cette protection. On sait bien que cette notion d’originalité n’est pas définie dans le code mais la jurisprudence a fini par en fixer les contours : pour être originale, une œuvre doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur. La cour de justice de l’Union européenne le confirme en 2011 (CJUE, 1er décembre 2011, aff. C-145/10) :

« une création intellectuelle est propre à son auteur lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci (…), tel est le cas lorsque l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs ».

L’avocat Chapotard par Honoré Daumier (1846)

La plaidoirie, « un régime particulier »

Cependant, tout l’intérêt de la réflexion d’Hélène Skrzypniak réside dans la singularité qu’elle souligne : en tant que « élément du procès » (p. 206), la plaidoirie est soumise à un régime particulier. En effet, la loi du 28 juillet 1881 interdit toute captation des audiences des juridictions administratives et judiciaires. La conséquence est énorme : « l’avocat se voit privé de l’un des attributs de son droit d’auteur, celui de reproduire son oeuvre » (p. 207). Et plus encore, d’après le Conseil constitutionnel (6 décembre 2019), ces dispositions ne privent pas « le public qui assiste aux audiences, en particulier les journalistes, de la possibilité de rendre compte des débats ». Ainsi, sans que l’avocat, à savoir l’auteur -au sens juridique- de la plaidoirie, n’ait la possibilité d’en autoriser ou non sa reproduction, sa création peut paradoxalement être l’objet d’un compte rendu et par conséquent, d’une reproduction partielle par un tiers.

L’avocat perd le contrôle de son oeuvre

Comme le souligne l’autrice de l’article, « l’avocat-auteur perd le contrôle de son oeuvre » et cela à double titre : il ne dispose pas du droit de reproduire son œuvre sans autorisation du président du tribunal ou de la cour ; il ne dispose pas non plus du droit d’en interdire la divulgation à travers des comptes rendus journalistiques. Cette singularité de la plaidoirie méritait bien un article.

Le plagiat littéraire, une écriture caméléonne

Dans ce même numéro de revue, nous avons publié une brève sur le « plagiat littéraire » (p. 289-291) qui démontre encore les paradoxes de la création littéraire en lien avec le droit de son auteur.

« Le plagiat est protéiforme, tel un caméléon jouant de ses couleurs pour se rendre invisible et tromper son monde : il se fait passer tantôt pour un hommage, tantôt pour une érudition bien digérée, ou une imitation qui dépasse son modèle. Il résiste aux généralités et aux définitions péremptoires. Du recopiage servile à la réécriture créative, il peut s’apparenter au délit de contrefaçon ou au chef d’œuvre. » (Hélène Maurel, Droit et Littérature, n° 8 2024, p. 289)

Retour en haut