Au cours de l’histoire

Clio histoire
Clio par Pierre MIgnard 1689

Le sens du mot « plagiat » varie selon les époques : histoire du plagiat

Au cours de l’histoire, la notion de plagiat n’a pas eu le même sens et n’a pas fait l’objet des mêmes enjeux culturels. Le terme même de plagiat a fait l’objet, jusqu’au XVIIIe siècle, d’un contresens. On crut longtemps que les voleurs de mots étaient condamnés au fouet, dès l’époque romaine, par la loi Fabia de plagiariis. Voltaire l’affirme même dans son Dictionnaire philosophique. Or, le contresens repose sur une erreur étymologique : c’est le grec plagios, oblique, rusé, et non le latin plaga, coup, qui a donné « plagiat ». A Rome, la fameuse loi Fabia de plagiariis s’appliquait en fait à ceux qui, par ruse (plagios), enlevaient des enfants, des hommes libres ou des esclaves, mais non aux voleurs de mots… Martial, le poète romain, fut sans doute le premier à employer ce terme de plagiarius dans un sens métaphorique. Considérant ses vers comme ses propres enfants qu’un certain Fidentinus lui avait dérobés, il traite le voleur de plagiaire. La métaphore de Martial a donc pu laisser croire que le terme de « plagiaire » existait déjà à Rome dans son sens moderne.

De fait, les Anciens ne connaissaient pas la propriété littéraire au sens juridique du terme. Restait aux victimes le recours à la satire et à l’épigramme… Horace, bien avant La Fontaine (« Le Geai paré des plumes du paon », Fables, IV, 6) reprend la fable d’Esope pour dénoncer les emprunts d’un dénommé Celsus Albinovanus. Il avertissait en ces termes les écrivains de son siècle :

 » qu’ils devaient se contenter de leur fonds et bien se garder, s’ils ne voulaient encourir le sort humiliant du geai paré des plumes du paon, de s’approprier les idées émises par autrui. « 

Epist. I, 3

A lire, l’article « Plagiat » dans l’Encyclopaedia Universalis.

Au Moyen Age, l’industrie et le commerce des livres se perpétue surtout dans les cloîtres et par les mains des religieux. « Les moines, en effet, sont tout à la fois copistes, érudits et auteurs. », selon M.-C. Dock dans sa Contribution historique à l’étude du droit d’auteur (Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1962). Michel Schneider, critique contemporain, nous met en garde contre une interprétation erronée de la copie à cette époque : «  ce serait un pur anachronisme d’assimiler la copie à un plagiat » (Voleurs de mots, essai sur le plagiat, la psychanalyse et la pensée, Gallimard, 1985). L’imitation joue alors son plein rôle spirituel et la foi chrétienne ne connaît pas les auteurs, seuls les prophètes…

histoire copistes

L’histoire du plagiat bascule à la fin du Moyen Age : le grand changement intervient avec l’invention de l’imprimerie en 1436 et du papier en 1440. L’imprimerie, en effet, met les ouvrages entre toutes les mains, aussi promptes à plagier qu’à dénoncer les plagiaires. A la décharge des pilleurs, rappelons que l’Antiquité fraîchement redécouverte au XVIe siècle s’offre en proie aux écrivains. Les ouvrages des Anciens sont même considérés comme les modèles de références : l’écrivain du XVIe ou du XVIIe siècles écrit sous l’autorité d’Homère, de Virgile, de Sénèque. On ne conçoit pas d’écrive une œuvre nouvelle qui ne rende pas hommage aux Latins et aux Grecs.

Ainsi, les emprunts de Rabelais et de Montaigne, bien connus, relèvent plutôt de ce que l’on pourrait qualifier de pillage créateur. Pour être honnête, signalons tout de même un recopiage trop flagrant de Rabelais, inspiré par un contemporain. Et on en est d’autant plus chagrin qu’il s’agit du passage si croustillant du Pantagruel où l’écolier limousin s’exprime en un charabia mi-latin mi-français :

Rabelais
Geoffroy Tory
Rabelais, Pantagruel, chapitre VI (1532)

 » Nous transfretons la Sequane au dilucule et crepuscule : nous deambulons par les compites et quadrivies de l’urbe, nous despumons la verbocination latiale, et, comme verisimiles amorabonds, captons la benevolence de l’omnijuge, omniforme, et omnigene sexe feminin. « 
Geoffroy Tory, Le Champ fleury, chapitre VI (1529)

 » Despumons la verbocination latiale et transfretons la Sequane au dilucule et crepuscule puis deambulons par les quadrivies et platées de Lutece, et, comme verisimiles amorabondes, captivons la benivolence de l’omnigene et uniforme sexe feminin. « 

Montaigne, quant à lui, se comportait en parfait humaniste, coulant dans son oeuvre les sources les plus diverses. La citation, plus ou moins déguisée ou avouée, était hommage rendu aux Anciens, référence à l’autorité, ou motif décoratif. Rien qui ne doive cependant se substituer à sa propre parole :

 » Certes, j’ay donné à l’opinion publique que ces parements empruntez m’accompaignent. Mais je n’entends pas qu’ils me couvrent et qu’ils me cachent. « 

Les Essais, Livre 3, chap. 12, « De la physionomie », 1595.

Le XVIIe siècle est dans la lignée du siècle précédent. Les plus grands du Grand Siècle ont plagié abondamment. Faut-il les démasquer? Certes, mais avec prudence… car n’est pas toujours plagiaire celui que l’on croit ; on dit par exemple que Le Pédant joué de Cyrano de Bergerac a donné à Molière une des meilleures scènes des Fourberies de Scapin : le « Que diable aller faire dans la galère d’un Turc !… », trois fois martelé, devient le moliéresque « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » Mais cet emprunt, qui n’est que le plus connu de Molière, serait faux ! Ce démenti est une révélation de Roland de Chaudenay dans son Dictionnaire des plagiaires (Perrin, 1990) : « Molière et Cyrano avaient étudié ensemble chez Gassendi. Molière a déjà en tête son « que diable allait-il faire dans cette galère ? » et tous les rouages dramatiques qui le pimentent. Il en parle. Cyrano, qui a du nez, prend des notes, Molière part en tournée. Le Pédant joué paraît en 1654. Le Turc et sa galère y sont en bonne place, acte II, scène 4. » Et Molière ne fera que reprendre son bien en 1671 dans Les Fourberies de Scapin acte II, scène 11.

Avec la Révolution et l’émergence de toutes les formes de propriété individuelle, s’éteint le dernier souffle des copieurs impunis. L’histoire du plagiat prend un nouveau virage : le XVIIIe siècle voit l’avènement de l’individu, revendiquant pour lui-même la propriété de son oeuvre. Parfaitement inscrit dans son époque, Jean-Jacques Rousseau rêve d’une individualité s’affirmant de manière originale, unique :

 » Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateurs. « 

Rousseau
Les Confessions, 1782

Le siècle des Lumières eut tout de même son lot de plagiaires. Fréron, justicier dans l’âme, s’en prit au Fils naturel de Diderot dont il publia un résumé, mot pour mot identique au résumé du Vero Amico du célèbre dramaturge vénitien Goldoni… Diderot eut réellement mauvaise conscience. La réprobation morale est de plus en plus pesante : elle annonce la constitution de la propriété littéraire que devait établir la Convention.

Paradoxalement, le XIXe siècle connaît une recrudescence de plagiats. C’est que la littérature est devenu un négoce, un moyen de réussite sociale et commerciale. Il n’est que d’entendre les plaintes de Balzac aux députés concernant les contrefaçons belges et ses revendications en matière de propriété littéraire. L’écrivain souligne que l’imprimerie, le journal et la publicité ont mis le livre « à la portée de toutes les fortunes. Dès lors, la librairie devint un grand commerce. »(Notes remises à Messieurs les députés composant la commission de la loi sur la propriété littéraire, 3 mars 1841).

Jusqu’à l’aube du XXe siècle, le plagiat est bien un phénomène littéraire de tous les temps. Les lois du XVIIIe siècle sur la propriété littéraire ne l’ont pas fait disparaître. Qu’en est-il aujourd’hui, dans un Etat de droit où chacun est censé connaître la loi ? L’histoire du plagiat se poursuit, avec les nouveaux soubresauts de l’édition, soumise aux impératifs de l’économie et du droit.

A écouter, l’excellente émission radiophonique de Jean-Noël Jeanneney sur l’histoire du plagiat, « Concordances des temps ».

L’actualité du plagiat littéraire

Les affaires de plagiat font partie de l’actualité littéraire, et cela pour trois raisons principales :

 » l’une juridique, puisque notre code de la propriété intellectuelle réprime le plagiat, qualifié de délit de contrefaçon par les juristes. La seconde est d’ordre économique : le livre est désormais un produit de consommation qui doit se plier aux contraintes du marché et nul doute que la pratique du plagiat est favorisée par l’exigence de plus en plus pressante de rentabilité du livre : écrire vite pour un public ciblé, tel est l’impératif auquel résistent mal certains auteurs, amateurs de succès faciles et rapides. En recourant à des documentalistes, à des écrivains-fantômes et à toutes sortes de sous-traitance de l’écriture, l’auteur signe un ouvrage dont le contenu même lui échappe en partie. Or, la tentation est d’autant plus forte que le plagiat est de plus en plus difficile à détecter. C’est le troisième aspect, d’ordre culturel : quel lecteur peut aujourd’hui prétendre à une connaissance complète des publications ? On se perd dans une production pléthorique d’ouvrages dont la qualité est aussi diversifiée que les contenus mêmes de tant d’essais, de romans, et de documents de toutes sortes. Le larcin est aisé… Le plagiaire, malgré la conscience qu’il a des risques encourus, dans une société où la propriété intellectuelle fait l’objet d’une protection juridique, compte sur l’éclatement des références culturelles pour abuser son lecteur. « 

Du plagiat, Galliamard, Folio, 2011.

Ces facteurs d’ordre à la fois commercial et culturel expliquent le nombre croissant d’affaires de plagiat, en particulier depuis les années quatre-vingts. Phénomène nouveau, les auteurs présumés plagiés n’hésitent plus à faire appel aux tribunaux. Plusieurs romans ont fait depuis l’année 2000 l’objet d’une assignation pour contrefaçon : la biographie romancée d’Alain Minc, Spinoza, un roman juif (Gallimard, 1999) et le récit de Michel Le Bris, D’or, de rêves et de sang, l’épopée de la flibuste (Hachette Littératures, 2001) ont été considérés par le juge comme des contrefaçons partielles. En revanche, les plaintes ont été rejetées concernant le roman de Marc Lévy, Et si c’était vrai (Robert Laffon, 2000) et celui de Chimo, Lila dit ça (Plon, 1996). Le nombre de contentieux pour contrefaçon littéraire n’est pas représentatif du l’ampleur du phénomène : la plupart des affaires se règlent en sous-main, selon des arrangements plus ou moins avantageux selon la notoriété des parties en cause.

Une nouvelle donnée provoque aujourd’hui de vives inquiétudes et des interrogations sur le plan juridique : comment légiférer sur les productions de l’intelligence artificielle, capable de combiner une quantité innombrable et difficilement repérables de données de toutes natures ? Auteurs, journalistes, artistes, et autant de créateurs tentent de faire entendre leur voix : voir notre article  » Les contributeurs forcés de ChatGPT se rebellent  » dans la page Actualités.

On peut prévoir que, parallèlement au développement de l’IA, vont apparaître des techniques de détection de similitudes plus performantes que celles actuellement disponibles. La course entre la production robotisée des textes et leur protection programmée commence véritablement. L’histoire du plagiat amorce un nouvelle ère dont les contours nous échappe à ce jour.


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